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Exilium = 0

Publié le par Fred Pougeard

 

 
...plenum exiliis mare, infecti caedibus scopuli.
                                                                Tacite, Histoires
 
Aujourd'hui je pense à deux des nombreux morts noyés
à quelques mètres de ces côtes ensoleillées
trouvés sous la coque, serrés, embrassés.
Je me demande si sur leurs os poussera le corail
et qu'en sera-t-il de leur sang dans le sel,
alors j'étudie — je cherche parmi les vieux livres
de médecine légale de mon père,
un manuel où les victimes
sont photographiées avec les criminels
en vrac : suicidés, assassins, organes génitaux.
Aucun paysage sous le ciel d'acier des photos, rarement une chaise
un dos caché sous un drap, les pieds sur un lit de camp, nus.
Je lis. Je découvre que le terme exact est livor mortis.
Le sang s'accumule en bas, se coagule
d'abord rouge puis livide enfin se fait poussière
jusqu'à se dissoudre dans le sel.
 
*
 
Oggi penso ai due dei tanti morti affogati
a pochi metri da queste coste sollegiate
trovati sotto lo scafo, stretti, abbracciati.
Mi chiedo se sulle ossa crescerà il corallo
e cosa ne sarà del sangue dentro il sale,
allora studio — cerco tra i vecchi libri
di medicina legale di mio padre,
un manuale dove le vittime
sono fotografate insieme ai criminali
alla rinfusa : suicidi, assassini, organi genitali.
Niente paesaggi solo il cielo d'acciaio delle foto, raramente una sedia
un dorso coperto da lenzuolo, i piedi sopra una branda, nudi.
Leggo. Scopro che il termine esatto è livor mortis.
Il sangue si raccoglie in basso, si raggruma
prima rosso poi livido infine si fa polvere
e può sciogliersi nel sale.
 
Antonella Anedda dans Dix poètes italiens contemporains, traduit de l'italien par Bernard Vanel. Préface d'Alessandro Agostinelli. Le Bousquet-La Barthe éditions 2018
 

 

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Blanc sur blanc

Publié le par Fred Pougeard

I
 
Fais une clef, même petite,
entre dans la maison.
Consens à la douceur, aie pitié
de la matière des songes et des oiseaux.
 
Invoque le feu, la clarté, la musique
des flancs.
Ne dis pas pierre, dis fenêtre.
Ne sois pas comme l'ombre.
 
Dis homme, enfant, étoile.
Répète les syllabes
où la lumière est heureuse et s'attarde.
 
Répète encore : homme, femme, enfant
Là où plus jeune est la beauté.
 
 
VI
 
Les cigognes.
Elles m'apportent le parvis,
deux maisons, ou trois, si elles sont blanches,
la tour où elles se posaient
 
avec lenteur, j'avais alors
l'âge des mûres, 
le soleil suffoquait sur ma bouche,
te souviens-tu ?, ou était-ce le poids d'une autre bouche,
 
d'une autre raison, je ne sais plus,
je poursuivais à coups de pierre
les chiens dont tu avais peur,
et je te fuyais pour caresser
 
en secret
le poulain bai que j'aimais alors.
 
 
 
VII
 
Maintenant j'habite plus près du soleil, les amis
ne connaissent pas le chemin : c'est bon
d'être ainsi, à personne,
dans les plus hautes branches, frère
 
du chant exempt de l'oiseau
de passage, reflet d'un reflet,
contemporain
de n'importe quel regard de surprise,
 
seulement ce va-et-vient des marées,
ardeur faite d'oubli,
douce poussière à fleur de l'écume,
et seulement cela.
 
 
 
X
 
Seul le cheval, seuls ces grands yeux
d'enfant, cette
profusion de soie, me manquent.
ce n'est pas la voix
 
tant écoutée, la voix obscure du fleuve,
ni le corps tendre
le premier où j'ai posé les mains,
et connu l'amour ;
 
c'est ce regard qui nuit après nuit vient
de très loin par quelque chemin de traverse,
et me dérobe le sommeil,
sans épargner le cœur.
 
Mon cœur, alentejo de rosée.
 
 
Eugénio de Andrade, Branco no branco*, Blanc sur blanc (1984) traduction du portugais par Michel Chandeigne Editions Gallimard 2014.
 
*Branco no branco, littéralement Blanc dans le blanc, est une notation de Bashô, dans la traduction d'Octavio Paz : Narciso y biambo/uno al otro ilumina/blanco en lo blanco
 
** Image : Eugénio de Andrade par José Rodriguez
 
 
 
 
 
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