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Un livre de musique

Publié le par Fred Pougeard

Arrivant à la fin, les amants
Sont épuisés comme deux nageurs. Où
Cela finissait-il ? On ne peut pas savoir. Aucun amour n'est
Comme un océan avec le cortège vertigineux des limites des vagues
Desquelles deux peuvent émerger épuisés, ni un long adieu
Comme la mort.
Arrivant à la fin. Plutôt, dirais-je, comme une longueur
De corde enroulée
Qui ne se déguise pas dans les dernières boucles de ses longueurs
Ses bouts.
Mais, diras-tu, nous aimions
Certaines parties de nous aimaient
Et ce qui reste de nous restera
Deux personnes. Oui,
La poésie se termine comme une corde.
 
Jack Spicer, Un Livre de musique (1958) dans Elégies imaginaires, Oeuvres poétiques complètes. Traduit de l'anglais (USA) par Eric Suchères. Vies parallèles 2021
 
Photo : Robert Berg
 
 
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Mais en moi l'hiver boit l'été

Publié le par Fred Pougeard

Je ne suis pas Robert Desnos
ni vous Stéphane Mallarmé
mais en moi l'hiver boit l'été
mais je sens l'os jouer avec l'os.
Il m'arrive d'avoir envie
de chanter de dire à l'oiseau
que je suis comme lui, trop tôt
trop tard né dans l'humble euphorie.
Alors j'écris sur ce papier
ces choses que j'envoie aux hommes
je me dis : flamme sans pitié
va prends mon corps pour une gomme
où t'effacer où te détruire
je finirai sans plus rien dire.
 
Georges Perros, J'habite près de mon silence Editions Finitude 2006
 
 
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Quand le souffle

Publié le par Fred Pougeard

QUAND LE SOUFFLE
a érigé la hutte de la nuit
et sort 
chercher son lieu céleste déployé dans le vent
 
et que le corps
vignoble sanglant
a rempli les tonneaux du silence
et que les larmes débordent
dans la lumière de voyance
 
quand tout un chacun s'est réfugié
dans son secret
et que tout est fait en double —
que la naissance gravit de son chant
toutes les échelles de Jacob des orgues de la mort
 
alors 
un bel éclair de chaleur
embrase le temps —
 
Nelly Sachs, Exode et métamorphose (1958-1959) traduit de l'allemand par Mireille Gansel, Editions Verdier 1999-2002 et Editions Gallimard 2023
 
Photo : Nelly Sachs, 1966, par Lennart Nygren
 
 
 
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Au point où tu en es

Publié le par Fred Pougeard

Au point où tu en es cesse,
dit l'ombre.
Je t'ai accompagné dans la guerre, dans la paix,
et même dans l'entre-deux,
j'ai été pour toi exaltation, dégoût,
je t'ai insufflé des vertus que tu n'as pas,
des vices que tu n'avais pas. Si maintenant je me détache
de toi tu n'auras pas de peine, tu seras plus léger
que les feuilles, changeant comme le vent.
Je dois lever le masque, je suis ta pensée,
ta vaine nécessité, ton écorce inutile.
Au point où tu en es, arrache-toi à mon souffle,
parcours le ciel comme une fusée.
Un peu de lumière subsiste à l'horizon,
qui la voit n'est pas fou, seulement homme,
et toi tu entendais ne pas l'être
pour l'amour d'une ombre. Je t'ai trompé
mais à présent te dis : au point où tu en es cesse.
Ton pire et ton meilleur ne t'appartiennent pas
et pour ce que tu auras tu peux te passer
d'une ombre. Au point où tu en es
regarde avec tes yeux et même sans yeux.
 
 
TRIOMPHE DES ORDURES
 
La grève des éboueurs 
peut donner à la Ville le visage qui lui sied.
On avance fort bien parmi les ordures
quand une Chantal tombée ici du nord
doit vous recevoir avec toute sa grâce
raffinée, plus éclatante et impeccable que ses cristaux.
Dehors, les vieux murs étalent leur misère,
leur gloire de survivre.
Elle-même, la jeune fille, sait mieux défendre
son identité puisque pour l'atteindre,
en naviguant elle a dû contourner îles et lacs
de vomi et de déchets en plastique.
​​​​​​​Ici les invités ne se connaissent même pas
entre eux, tous intrigués, tous absents
d'eux-mêmes. Le triomphe des ordures
exalte qui n'en a cure, émousse
angles et pointes. Etre vivant suffit,
et ce n'est pas une mince affaire. Elle-même,
celle qui nous reçoit l'a su avant
nous tous, et c'est son invention,
apprise non dans les livres mais du dieu sans nom
qui dispense la Grâce, ne sait rien faire d'autre
et c'est déjà trop.
 
Eugenio Montale, Carnets de poésie 1971 dans Poèmes choisis 1916-1980, traduit de l'italien par Patrice Dyerval Angelini, Gallimard 1991

 

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