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Et puis arrive le temps des regrets...

Publié le par Fred Pougeard

Et puis arrive le temps des regrets.

Dans la demi-lumière des réverbères,

dans la pénombre des illuminations

nous ne reconnaissons plus nos maîtres.

 

Une ombre s’avance entre nous,

vit, palpite, nous repousse

et victorieuse un instant

rassemble ses courtisans.

 

Toute vie n’est qu’un battement de cœur,

un bruit de phrases, un clapotis de fautes,

une nuit sur la barque du sexe

qui descend le ruisseau du silence.

 

Adieu, création tardive

de mes largesses importunes,

chute amère de mes triomphes,

envol de ma tendresse fragile.

 

O Seigneur, tu marches par le monde

pendant que nous parlons à mi-voix,

tu t’avances d’un pas cruel

et tu respires mon visage.

 

Tu veux, dans l’herbe sombre

coudre aux défaites humiliantes

les grains interstices du temps

sur l’asphalte des vainqueurs.

 

Toute chose arrive lentement

et me crie : vis donc, vis,

tourne, tourne devant moi,

comme la ronde folle de l’amour.

 

Luis sur les semailles douloureuses

et sur les chagrins de chaque jour,

hausse les épaules dans la nuit

et pleure sur tous les hommes.

 

Joseph Brodsky, Collines et autres poèmes. Traduit du russe par Jean-Jacques Marie. préface de Pierre Emmanuel. Editions du Seuil 1966

 

Photo, Joseph Brodsky (1980) par Marianna Volkova

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Nuit qui déborde du corps

Publié le par Fred Pougeard

Jasmin sur les nuits de juillet. Chanson
Pour deux étrangers qui se rencontrent sur une rue qui ne mène nulle part
Qui suis-je après ces deux yeux en amande ?
Dit l'étranger
Qui suis-je après ton exil en moi ? Dit l'étrangère
Prenons garde alors, à ne pas remuer le sel des mers anciennes
Dans un corps qui se souvient
Elle lui restituait son corps chaud
Et il lui restituait son corps chaud
Ainsi les deux amants étrangers laissent leurs amours en désordre
Comme ils abandonnent leur sous-vêtements entre les fleurs des draps
— Si tu es vraiment mon aimé, compose un Cantique des cantiques pour moi
Et grave mon nom sur la branche d'un grenadier, dans les jardins de Babylone
—Si tu m'aimes vraiment, place mon rêve entre mes mains et dis
Dis au fils de Marie : Ainsi, tu nous fais subir le sort que tu t'es choisi
Seigneur, sommes-nous assez justes, pour l'être demain
Comment guérirai-je du jasmin demain ?
​​​​​​​Comment guérirai-je du jasmin demain ?
Ils font l'obscurité ensemble, dans des ombres qui dansent au plafond de sa chambre
Elle lui dit : Ne sois pas ténébreux après mes seins
Il dit : Tes seins, nuits qui éclairent l'essentiel
Nuits qui me couvrent de baisers, et nous sommes emplis
Le lieu et moi, de nuits qui débordent de la coupe
Elle rit de sa description. Et elle rit encore
Lorsqu'elle cache la pente de la nuit dans sa main
— Mon amour, s'il m'était donné d'être un garçon, je serais toi
— Et s'il m'était donné d'être une fille, je serais toi
Et elle pleure comme à son habitude lorsqu'elle revient d'un ciel couleur de vin
Emmène-moi Etranger, dans un pays où
Je ne possède pas un oiseau bleu sur un saule
​​​​​​​Et elle pleure, pour traverser ses forêts dans le long départ vers elle-même. Qui suis-je ?
​​​​​​​Qui suis-je après ton exil dans mon corps ?
Ah cette peine qui me vient de moi, de toi de mon pays
​​​​​​​Qui suis-je après ces deux yeux en amande ?
Montre-moi mon lendemain !
Ainsi les deux amants laissent leurs adieux en désordre
​​​​​​​Comme le parfum du jasmin sur les nuits de juillet
 
Quand vient Juillet
Le jasmin me porte à une rue qui ne mène nulle part
Mais je chante encore
Jasmin
Sur les nuits
De Juillet
 
​​​​​​​Mahmoud Darwich, Pourquoi as-tu laissé le cheval à sa solitude ? poèmes traduits de l'arabe (Palestine) par Elias Sanbar. Riad El-Rayyes Book Ltd 1995. Actes Sud 1996.
 
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Le châtreur

Publié le par Fred Pougeard

Lorsque d'étable en étable roule
le châtreur pour choisir les taureaux
à châtrer, pas besoin de leur toucher 
les boules,
dans les yeux suffit de les fixer :
 
si l'un a le regard doux et cordial,
il est fichu, le châtreur écrabouille
avec sa pince les couilles, et l'animal
de douleur bave et s'agenouille.
 
Mais s'il a le regard bestial et inhumain
et la corne acérée, le châtreur
le gracie, le caresse de la main
et part avec un clin d'œil flagorneur.
 
 
La divinité du taureau
 
C'est un taureau, on le voit bien
quand il aborde la vache, il survient,
 
la lance en arrêt haut dressée,
faisant en l'air ses pattes tournoyer
comme un guerrier ferait tourbillonner
sa massue pour vous fracasser la tête,
 
ses naseaux bouillonnants se vident
de jets de fumées, comme une locomotive
agitant ses pistons à vide.
 
Les paysans le regardent des prés,
cessent le travail tout éberlués :
ils se rappellent que la divinité
est le principe de la fécondité,
et le taureau alors
vaut bien plus que l'encens, que la myrrhe et que l'or.
 
 
Le taureau fasciste
 
Le taureau a la corne en arc bien dessinée
faite exprès pour s'ouvrir une saignée
 
dans le ventre de l'ennemi
il la lui plante dans l'ombilic
 
et il le lance dans les étoiles,
lui arrachant par le trou les entrailles,
 
et quand il tombe à terre il le bombarde
de ruades qui le réduisent en moutarde.
 
Mais la pince à naseaux le retient prisonnier :
tel un fasciste dans sa tenue noire emprisonné,
 
fusil en bandoulière, poignard à la ceinture,
les mains en l'air, l'œil en déconfiture.
 
 
Le taureau et la vache en plastique
 
Maintenant, le taureau est mené en fourgon,
comme un repenti de la mafia,
jusqu'au Centre de Fécondation,
et on le fait sortir dans la cour de ferme
derrière la vache,
dès qu'il la voit se dresse son piston :
il ne sait pas qu'elle n'est qu'un châssis
sans peau, sans os, sans chair.
 
C'est une vache en plastique
avec une vulve élastique,
 
on l'a enduite d'hormones
pour provoquer cinq érections.
 
Le taureau la monte,
la vulve sert de pompe :
 
elle le presse jusqu'au dernier spasme
et ses ventouses saisissent comme des mains :
c'est ainsi, dit Catulle
que Lesbie faisait des Romains.
 
La semence d'une seule éjaculation
est répartie entre deux cents flacons :
pour le taureau c'est un supplice,
pour son maître ce sont soixante millions.
 
 
Après la monte
 
Après la monte, le taurillon
reste apathique pendant quelques jours,
mais son maître tourne tout autour
en répétant : "Réveille-toi, mignon !"
 
Un soupçon naît dans l'oeil de l'animal :
"Mais était-ce bien une vraie vache ?"
en réponse il reçoit une ration spéciale,
et mange et mange à s'en crever la panse. 
 
Ferdinando Camon, Le silence des campagnes, modestes constats en vers. Postface et traduction de l'italien par Patrice Dyerval Angelini. Garzanti Editore 1998, Editions Gallimard 2003.
 
 
 
 
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Leçon de poésie niveau IV

Publié le par Fred Pougeard

Laisse les étoiles tranquilles
leur cadastre est déjà impeccable
 
Laisse le cœur dans la poitrine
tu n'es pas médecin
 
Laisse la nuit aux veilleurs
et la nature aux espèces disparues
 
Laisse ton être et ton âme
picoler dans un coin
 
Laisse la vie devenir capitaliste
et la mort communiste
 
Laisse l'éternité faire du stop
et se planter de route
 
Laisse les fleurs se vendre
et adoucir les couples
 
Laisse tes morceaux 
​​​​​​​mijoter une heure ou dix ans
 
Ça va aller
n'écris pas tout de suite
 
Tu es trop propre
tu n'es pas prêt
 
​​​​​​​Ce n'est pas toi que tu cherches
on s'en fout de toi
 
Tu peux calculer tous les jours
le diamètre de ta sphère
 
Le petit vieux marrant du rez-de-chaussée
est plus important
 
Le jour des encombrants
est plus important
 
Des sachets plastique s'accrochent aux arbres
drapeaux blancs de ta banlieue
 
Si tu veux des signes va les chercher
négocie chaque chose que tu vois
 
Ne te laisse pas faire
Ne te laisse pas faire
 
Marc Guimo, La poésie, personne n'en lit. Editions la Boucherie littéraire, collection Sur le billot, dirigée par Antoine Gallardo, 2018
 
 
 
 
 
 
 
 
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Bilan

Publié le par Fred Pougeard

Nous conservons nos doigts
non pour les choses ordinaires
mais pour compter
nos amis qui tombent
les heures d'attente
les dettes
nos rêves évanescents
les années qui nous tractent vers la fin
mais aussi toutes les fois où nous échouons
à être des assassins
 
Cerné dans un cercle de craie
 
Abandonné sur le trottoir
avec un seul bras
cadavre calciné
je m'effrite de toutes parts dès qu'on me touche
après plusieurs tentatives ils ont décidé
de retirer sous mon corps
ma mère, mon père, ma sœur
et les enfants que je rêvais d'avoir
un à un
en me laissant affronter seul mon cadavre
 
Quand tu approches des restes d'un humain
 
Quand tu approches des restes d'un humain tu suffoques
tu t'assois près de son vœu le plus cher
et un trou collé à toi depuis des jours
vous épie
tu contemples les doigts qui amplifiaient ton enfance
et ta bouche tombe plusieurs fois entre tes cuisses
tu la remets en place
quand ta langue ne parvient plus
à émettre un seul mot
tu retires tes yeux
de l'os du bras nécrosé
tu descends dans le trou
et le monde s'écroule sur toi
 
*
 
La mort nous menace chaque jour
et jusqu'ici nous n'avons rien commencé
ainsi sommes-nous depuis l'enfance
pas une fois je n'ai vu entre tes mains autre chose
qu'une poupée sans jambes
tu m'auras vu tant de fois
tirant des pierres sur mon cerf-volant
pendu aux câbles électriques
j'aurais tant aimé dessiner des cœurs
​​​​​​​avec la buée
quand tu étais face à moi à la maison
une fenêtre nous séparait
mais nos fenêtres n'avaient plus de vitres
 
Ali Thareb, Un Homme avec une mouche dans la bouche. traduit de l'arabe (Irak) par Souad Labbize. Editions des Lisières, Saint Jalle 2017. 
 
Né en 1988 peu après la fin de la guerre Iran-Irak, Ali Thareb a grandi et vit à Babel en Irak. Il fait partie de la Milice de la culture, collectifs de poètes irakiens qui dénoncent les horreurs de la guerre par le biais de la poésie-performance.
 
Magnifique et courageux travail éditorial d'une maison de la Drôme : 
Editions Les Lisières
La Ruche-Les Laurons
20 Place Pierre-Louis Guilliny
26110 NYONS
www.editionsdeslisieres.com
 
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À cette hauteur où le vent souffle toujours froid...

Publié le par Fred Pougeard

À cette hauteur où le vent souffle toujours froid, où le mystère

devient presque palpable, d’une proximité, d’une densité troublantes,

j’aimerais pouvoir rejoindre en toi l’étincelle qui est au centre de

l’âme, ce sens intérieur qui dépasse ta simple histoire, qui peut

atteindre et pénétrer ces profondeurs insoupçonnées, les envelopper

d’une connaissance muette qui rejoint les moments de prière où

rien ne cherche à se dire, où la plénitude est telle, où la présence qui

te porte est si intensément réelle qu’elle suffit à te combler.

                                            

*

 

Combien de fois, éveillé avant le jour, sous les arbres encore sombres,

me suis-je laissé gagner par la grandeur des aubes où les montagnes

se déplient une à une, comme des pétales mauves sur une tige invisible.

Devant ces masses immobiles et solennelles, puissantes mais sans fierté,

sans violence aucune, légères même dans le poudroiement de l’azur,

il n’y a plus que cette explosion de silence à recueillir, cette éclosion

d’un premier jour qui rouvre les yeux, effleure le front d’une fraîcheur

éternelle.

 

Un souffle irrésistible alors me soulève. D’un centre unique à toute la

Création, il me semble participer à cette force ininterrompue, à cette

Âme enfouie qui travaille à notre insu.

 

Tout est en nous. Mais le plus intime de nous reste un au-delà.

 

Tout est là déjà… mais tout le reste à accomplir, dans une prodigieuse

efflorescence qui nous dépasse infiniment.

 

Philippe Mac Leod, L'infini en toute vie. Editions Ad Solem, Saulges. 2008

 

Photo : Arno Brignon

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Y cuánto vive?

Publié le par Fred Pougeard

Combien vit l’homme, enfin ?

Vit-il mille jours ou un seul ?

Pour combien de temps l’homme meurt-il ?

Que veut dire « pour toujours » ?

Préoccupé par cette affaire
je me suis consacré à élucider les choses.

J’ai recherché les prêtres savants,
je les ai attendus après le rite,
je les ai guettés lorsqu’ils sortaient
pour rendre visible à Dieu et au Diable.

Ils se lassèrent de mes questions.
Eux non plus ne savaient pas grand-chose,
Ils n’étaient que des administrateurs.

Les médecins me reçurent,
entre une consultation et une autre,
avec un bistouri dans chaque main,
saturés d’auréomycine,
chaque jour plus occupés.

Selon ce que j’appris à travers ce qu’ils disaient
le problème était le suivant :
jamais n’est mort tant de microbes
il en tombait des tonnes,
mais le peu qui resta
se révélait pervers.

Ils m’effrayèrent tant
que j’ai cherché les fossoyeurs.
Je partis aux fleuves où ils brûlent
de grands cadavres peints,
de petits morts osseux,
des empereurs recouverts
d’écailles terrifiantes,
des femmes aplaties tout à coup
par une rafale de colère.
C’étaient des rives de défunts
et des spécialistes cendreux.

Quand vint mon tour
je leur posai quelques questions,
ils me proposèrent de me brûler :
c’était tout ce qu’ils savaient.

Dans mon pays les fossoyeurs
me répondirent, entre deux verres :
— « Trouve-toi donc une jeune fille robuste,
et laisse tomber toutes ces sottises. »

Je n’ai jamais vu de gens si joyeux.

Ils chantaient en levant le vin
à la santé et à la mort.
C’étaient de grands fornicateurs.

Je rentrai chez moi plus vieux
après avoir parcouru le monde.

Je ne demande rien à personne.

Mais je sais chaque jour moins de choses.

*

Cuánto vive el hombre, por fin?

Vive mil días o uno solo?

Una semana o varios siglos?

Por cuánto tiempo muere el hombre?

Qué quiere decir «Para Siempre»?

Preocupado por este asunto
me dediqué a aclarar las cosas.

Busqué a los sabios sacerdotes,
los esperé después del rito,
los aceché cuando salían
a visitar a Dios y al diablo.

Se aburrieron con mis preguntas.
Ellos tampoco sabían mucho,
eran sólo administradores.

Los médicos me recibieron,
entre una consulta y otra,
con un bisturí en cada mano,
saturados de aureomicina,
más ocupados cada dia.
Según supe por lo que hablaban
el problema era como sigue:
nunca murió tanto microbio,
toneladas de ellos caían,
pero los pocos que quedaron
se manifestaban perversos.

Me dejaron tan asustado
que busqé a los enterradores.
Me fui a los ríos donde queman
grandes cadáveres pintados,
pequeños muertos huesudos,
emperadores recubiertos
por escamas aterradoras,
mujeres aplastadas de pronto
por una ráfaga de cólera.
Eran riberas de difuntos
y especialistas cenicientos.

Cuando llegó mi oportunidad
les largué unas cuantas preguntas,
ellos me ofrecieren quemarme:
era todo lo que sabían.

En mi país los enterradores
me contestaron, entre copas:
—«Búscate una moza robusta,
y déjate de tonterías».

Nunca vi gentes tan alegres.

Cantaban levantando el vino
por la salud y por la muerte.
Eran grandes fornicadores.

Regresé a mi casa más viejo
después de recorrer el mundo.

No le pregunto a nadie nada.

Pero sé cada día menos.

Déjenme solo con el día.
Pido permiso para nacer.

Pablo Neruda, Estravagario (1958) Vaguedivague, traduit de l'espagnol (Chili) par Guy Suarez. Editions Gallimard 1971

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L'oubli

Publié le par Fred Pougeard

L'oubli prête surface
Aux rêves inaccomplis
À nos futurs provisoires
À nos veillées sans haine
Aux chemins éclaircis
 
Sur l'ardoise de nos vies
La vengeance se fanera
 
Le talion s'abolit
 
*
 
Rappelle-moi
 
Rappelle-moi
Ces temps sonores 
Où les murs s'effondraient
 
Ces temps sans minutie
Où l'obstacle s'enjambait
 
Rappelle-moi
Ces aurores
Ces nuits qui rayonnaient
Ces temps-relief
Ces métaphores
Ces heures inusitées
 
Rappelle-moi
Ce temps sur terre
Plus fragile
Qu'herbe d'été
 
Andrée Chédid, Rythmes. Editions Gallimard 2003.
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