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Sur la pierre nue de ton nom

Publié le par Fred Pougeard

               
    11 mars 81
 
 
Sur la pierre nue de ton nom
Notre amour retient
Un rayon de soleil
Dans le jardin d'un cimetière
Le rosier défend la vie
Dans ces mots écarlates
Notre rêve bat la mesure
Du temps.
 
                    13 mars 81
 
Je cherche le vitrail qui te dira toute entière
Et je sais maintenant
Que jamais je ne le réaliserai
Il est toi et moi
La vie et ta mort
Ma mort
Jour de fête et de désespoir
Visage et paysage
Forme ou couleur
Lumière vitale
Opacité de toute création humaine
Mystère du portrait qui devient l'oeuvre
Immortelle
Ecriture
Recherche désespérée
De l'être.
 
                    18 février
 
Faire un poème c'est jouer à faire de la lumière
Avec des couleurs
Rien ne permet de dire ce qui transparaîtra
De cet assemblage de mots
La réalité se transforme d'elle-même
Désastre
Morceaux de verre cassés
Ou source lumineuse
Un tout qui dit tout
Un tableau qui s'impose
Chaque élément a trouvé sa place
Et cela paraît simple
C'est même évident
Pour celui qui regarde
Il ne pouvait en être autrement
Ce trait cette couleur
Et je ne me lasse pas
De les regarder chanter
Je connais les phrases et les mots
Mais le poème se dit lui-même
Pourtant il a fallu ta main
Ta vie
Tu aimais jouer avec les mots.
Se piquer au jeu
Cette pointe d'humour devant sa vie
Personne n'est sûr de faire un six au bon moment
Faut-il faire un poème ?
 
Claude Bertrand, Ta main, Le vitrail copyright C.Bertrand Chamgsanglard 23220 Bonnat
 
 Photo : Alfred Manessier,  Terre assoiffée II, Huile sur toile, 1967, 162 x 116 cm. Photo Christian Demare © ADAGP, Paris 2014.
 
 
 
 
 

 

 

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La chouette

Publié le par Fred Pougeard

     
(Ma mère) avait un penchant (qu'elle niait d'ailleurs) à voir dans tout ce que le monde voit banalement ce que n'y voit personne. Et je la comprends. Je tiens d'elle. Sa méfiance était constante, que surmontait, à l'improviste, une confiance qui contrariait sa réserve. Elle lui jouait parfois de très mauvais tours. Toutefois, sous forme de crainte latente, en général la méfiance l'emportait...
     D'ou ce souci que nous avions de barricader portes et fenêtres dès que tombait la nuit.
Heureusement, cette mis en état de défense nocturne cédait souvent aux besoins d'air et de fraîcheur, surtout en juillet, en août, en septembre. Alors, oubliant les dangers imminents que contient toute nuit qui se respecte, on ouvrait portes et fenêtres à la brise, aux parfums de la terre, à la lune, aux puissantes constellations de l'été.
     Une fois qu'on avait goûté à l'air chaud de la nuit, aux odeurs nocturnes des champs, au calme du ciel, on passait dehors toutes les soirées. Dès le souper fini, la lampe éteinte, on s'installait devant la maison, sous la treille, et on jouissait de la nuit. On en jouissait avec discrétion, et presque toujours en silence. Si par hasard quelqu'un parlait, il le faisait en peu de mots, et paisiblement. Mais, de préférence, on se gardait bien de troubler son propre plaisir par des paroles (...) 
     Si par extraordinaire on parlait (...) on échangeait des phrases, toutes inspirées par la nuit : 
— La chouette des Escaplon a changé de place, ce soir. On l'entend du côté de l'écurie. 
— Peut-être... A moins que ce ne soit sur leur grand peuplier...
     Et on écoutait la chouette. Mais, oiseaux de mauvais augure, l'on s'en méfiait. 
     S'il arrivait que l'une d'elles vînt se poser à l'improviste sur l'un des hangars et qu'elle y poussât doucement son cri, ma mère se signait et disait :
— Louis j'ai peur. Rentrons le petit...
     Et le petit était "rentré", ce qui l'attristait beaucoup car, sans qu'on le sût, le petit aimait les chouettes...
     Il m'en est resté une quantité de petites chouettes qui élèvent la voix çà et là dans mes livres. Cinquante ans après ces nuits chaudes et calmes de l'enfance, elles arrivent bien fidèlement sur un de ces grands peupliers que j'aimais alors et, dans ma mémoire, si l'une se plaint, aussitôt une autre répond à sa plainte... Dès que la nuit tombe, ce souvenirs monte, et le personnage nocturne qui erre ou qui rêve dans l'ombre, entend ces deux chouettes s'appeler et se plaindre là-bas au fond de mon récit.
     Dès lors, je ne sais plus si j'ai ou non inventé cette scène et si ce personnage attentif aux oiseaux de nuit est une fiction ou moi-même en songe... Car le souvenir n'est qu'un songe où l'on est un peu ce qu'on fut et beaucoup plus ce que l'esprit en imagine...
     Quoi qu'il en soit, les chouettes de mon enfance y revivent. Il fait, ce souvenir, que j'y pense souvent. Il m'arrive ici de me demander pourquoi ces petites bêtes ont un cri si mélancolique et si tendre. Car il l'est. Or la familiarité des chouettes est touchante. Au crépuscule, ne les voit-on pas sur le sol même des chemins où elles ont bien l'air de vous attendre ? C'est à peine si elles s'envolent quand vous arrivez. Non pour fuir, mais pour s'installer le long du chemin sur un talus, d'où, immobiles, elles vous regardent. Alors, s'il reste un peu du jour, vous pouvez les voir assez bien. Rien en elles de douloureux qui puisse expliquer la mélancolie de leur plaintes. Elles ont l'air sage et sensé d'humbles et calmes ménagères. Telle cette chouette de Minerve qui illustre si modestement les classiques grecs de Budé (...)
 
     J'avais sept ans.
     C'était au plus fort de l'été. J'étais couché avec une fièvre maligne. On la soignait avec les usages d'alors, par des enveloppements glacés. C'est horrible. Mais on avait beau m'entourer dans des draps ruisselants d'eau froide, la fièvre montait. Elle descendait d'un degré après ce supplice, pour s'élever de deux, inexorablement, quelques heures plus tard, surtout la nuit. Je n'étais que feu, de la tête aux pieds et frissons. L'été, cette année-là, semblait en flammes. Tout brûlait de soleil autour de la maison, où je ne tenais à la vie que par un fil. Et je délirais. Cependant, malgré mon délire, si je ne voyais plus les objets ni les créatures vivantes, j'entendais le moindre murmure. Ainsi, je comprenais les mots que l'on chuchotait dans la chambre. Je sentais aussi avec un grand dégoût l'huile rance qui alimentait la veilleuse. La chaleur dehors et dedans était étouffante et je haletais. Jamais je n'avais été aussi mal, aussi dévoré de fièvre. Ma peau était sèche, brûlait. J'avais soif. On me donnait à boire, dans une petite cuillère, je ne sais quelle boisson amère, sirupeuse. J'avalais difficilement. Ma tête n'était que souffrances. Mais je savais que ma mère était là, à mon chevet, et mon père dans un fauteuil, près de la fenêtre entrouverte. Il ne disait rien, ne remuait pas. Il devait regarder la nuit. Ma mère, sans cesse, trempait des compresses dans un bol rempli de vinaigre, et m'en enveloppait la tête, les poignets. Parfois je sentais sa main qui se glissait entre l'oreiller et ma nuque. C'était pour tâter la chaleur. Et la chaleur montait. De cela j'ai gardé un souvenir. Ce qu'on m'en a dit et ce que j'ai deviné alors, tout a dû se mêler ensuite dans ma pauvre tête. mais il s'en est formé une image assez cohérente que ma mémoire a prise et conservée. J'y revois ma mère anxieuse, et, à mesure que tournaient les heures, perdant de plus en plus l'espoir de me sauver...
    Car on croyait, chez nous, que la mort errait dans la chambre à minuit, et nous n'en étions pas loin. Dehors, le silence, l'immense fièvre de l'été, pas de lune, un ciel lourd. Dans le feuillage du platane, l'air emprisonné restait immobile. Sur la commode, on entendait le tic-tac régulier de la pendule. Ma mère en suivait les aiguilles qui allaient se joindre et marquer minuit. Pour que leur conjonction se formât en silence on avait enveloppé le timbre d'un bout de flanelle. Il est certain que cinq minutes avant, j'avais atteint le sommet de la crise. Le pouls battait furieusement, j'étais agité de terribles secousses. Mes reins s'arquaient. J'agrippais les draps. Je râlais peut-être. Mon père, quittant, son fauteuil, était venu à mon chevet et avait posé sa main sur mon front.
     Il dit doucement :
Crese, Pecaïre, qu'a li très susour...  Le pauvre ! je crois qu'il a les trois sueurs. 
     A ce moment-là, malgré l'étoffe, la pendule sonna. Quoique amortis, les coups tombaient sur le timbre. Il ne vibrait pas, mais on entendait le choc du petit marteau sur la laine. Mes parents se taisaient. La porte de la chambre était ouverte. Mais il n'osaient pas y porter les yeux.
     Soudain dehors, juste devant la fenêtre, dans le platane, un léger froissement de plumes agita le feuillage et une chouette ulula très fort. La cloche du jardin tinta doucement et ma mère dit : "Jesus Maria !..."
     Cela je l'ai entendu, j'en suis sûr. Il est vrai que je délirais, mais ma mère m'a affirmé qu'elle avait prononcé vraiment ces deux mots. C'était son ultime recours. Le fait est certain. 
     De même pour le cri de la chouette et le tintement de la cloche.
     Il y eut bien, cette nuit-là, dans le platane une chouette, et au bout du jardin un tintement de cloche.
     L'aube se leva que je délirais encore, mais j'étais en vie. 
     Messagère de vie, non de mort, avait été cette bonne chouette.
     Ma mère n'a jamais voulu me croire. Elle me disait : 
— Il s'en est fallu d'un cheveu, voilà tout.
     Sans s'en expliquer davantage. Mais elle nourrissait, j'en suis certain, là-dessus quelque étrange pensée. C'est pourquoi elle s'en tenait d'un air méfiant à cette énigmatique phrase et à ce cheveu providentiel...
     La chouette restait pour elle un oiseau de mauvais augure.
     Elle avait annoncé la mort, que quelqu'un avait écartée, cette nuit-là. Mais moi, je n'arrivais pas à attribuer à l'oiseau un si triste message. N'était-elle pas venue simplement me plaindre, cette solitaire chouette, qui avait reçu la mission d'être la plainte même de la nuit dans ce quartier ?
     Voilà ce que pensait ma tête simple, ma tête naturellement sensible à l'amour des bêtes. Et si je le dis, après tant d'années, c'est que ni l'enfant ni la tête, dans la vieillesse, n'ont changé de pensée ni d'amour.
 
Henri Bosco, Un oubli moins profond, souvenirs, pp 48-53. Editions Gallimard 1961
 
Illustration, Chouette, par Bernard Buffet (1958)
 
 
 

 

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Roses.

Publié le par Fred Pougeard

   
    En ce pays, les roses étaient en fleur depuis l'aube, d'un rose foncé, insolent, et si violemment vivantes que le buisson paraissait non point tant arbuste que bête. —Bête sans forme, peut-être écorchée vive, peut-être arrachée vive aux chaleurs de la mer, toute battante de sang et de peur. 
    Une odeur en venait, sauvage et forte, une odeur de terre à sa première pluie, de sève âcre, d'algues à marée montante —et, quand je fermais les yeux, une senteur de chair animale, chaude, poilue et moite, à vous creuser les reins. Roses !
   L'urgence du cri, morsure en plein sang, vivre !
La nuit tombant, le même rose, virulent et dur, parcourait les nuées du ciel.
 
Marcelle Delpastre, Ballades (1959-1962), édition établie et présentée par Jan dau Melhau. deuxième édition, Plein Chant 2014. 
 
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Brouter

Publié le par Fred Pougeard

Dans mes plus lointains étés
J'entends la vache brouter,
 
J'écoute l'herbe qu'arrachent
Les mâchoires de la vache.
 
Ô, ma vache, broute, mâche.
Tu as tout le temps qu'il faut.
 
Broute bien l'herbe et le temps,
Le temps ! Goûte lentement.
 
Tu as l'Égypte et Lascaux
Qui ruminent sur ton dos.
 
Ne lève pas trop les yeux
Sur ce monde nébuleux,
 
Broute mon antique bête,
Broute cette jeune herbette
 
Et la jeune éternité
Sourira de t'écouter 
Brouter.
 
Norge, Le Stupéfait éditions Gallimard 1988
 
Illustration: vache blanche, Jean Dubuffet 1954
 
 

 

 

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