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Si l'on pouvait goûter seulement son néant...

Publié le par Fred Pougeard

     
     Si l'on pouvait seulement goûter son néant, si l'on pouvait se bien reposer dans son néant, et que ce néant ne soit pas une certaine sorte d'être mais ne soit pas la mort tout à fait.
    Il est si dur de ne plus exister, de ne plus être dans quelque chose.  La vraie douleur est de sentir en soi se déplacer sa pensée. Mais la pensée comme un point n'est certainement pas une souffrance. 
     J'en suis au point où je ne touche plus à la vie, mais avec en moi tous les appétits et la titillation insistante de l'être. Je n'ai plus qu'une occupation, me refaire.
 
Antonin Artaud, Le Pèse-nerf (1925), dans L'Ombilic des Limbes suivi de Le Pèse-nerfs et autres textes, collection Poésie Gallimard. 
 
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À Esaïe

Publié le par Fred Pougeard

La montagne de Ton Sanctuaire n'est pas encore sortie de terre,
que déjà Son futur sommet s'inquiète : des nuages fratricides y
tourbillonnent et foudroient les oiseaux dans leur courant.
Entre-temps nous vivons dans les crevasses : il y fait sombre et froid,
nos cœurs nous réchauffent peu, petits, engorgés, mais forts,
— les bêtes sauvages ! nous harcèlent. Nous tenons le coup :
aux joailliers on confisque leur or et aux indigents leurs chaînes.
 
Sur la rive vide, les bateaux de Tarse apportent inlassablement
statues et épées, perruques rousses, harpes et tentes,
arches d'aqueducs orphelines et perroquets exotiques,
captifs du désert et mouches des delta de la crasse.
Puis ils rembarquent leur cargo et partent, visionnaires du mensonge :
les marins de Tarse.
 
Et nous ? Ici, sous terre,
nus, nous attendons dans les crevasses qu'on nous transporte là où
déjà les oiseaux tuent leurs frères, et où les nuages en déroute tourbillonnent !
Jour de récompense ! Au sommet Ta Demeure nous aveuglera de blancheur.
 
Et nos commerces s'y enrichiront, et sous la colonnade se tiendra
une prostituée orientale aux yeux provocants,
qui toisera les entrants les passants leurs cœurs clignotants
rabougris comme escarcelle vide.
 
Paris, mai 1962
 
 Aleksander Wat, Les quatre murs de ma souffrance, traduit du polonais par Alice-Catherine Carls, Orphée La différence 2013
 
 
 
 
 
 
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Quand j'écris

Publié le par Fred Pougeard

Quand j'écris,
C'est comme si les choses,
 
Toutes, pas seulement
Celles dont j'écris,
 
Venaient vers moi
Et l'on dirait et je crois
 
Que c'est pour se connaître.
 
Eugène Guillevic, Art poétique, Paroi, Le Chant, Editions Gallimard 2001
 
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