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Gardien de musée

Publié le par Fred Pougeard

Là-bas, tu commences à tracer une carte du monde. Et quand tu te dresses pour saluer le jour, quelques mots s'échappent de tes poches. Tu es loin de chez toi mais tu te sens présent, impermanent comme un nuage.
 
Vieil homme maigre dans un musée, cheveux clairsemés. Vieil homme pour ceux qui ont du temps et de l'argent, pour les étrangers. Vieil homme droit comme un mât, sans un sourire mais affairé, riche d'attention pour le moindre chat.
 
Vieil homme jeune dans les souvenirs. Eau, oued et menthe sauvage qu'il cueillait en montagne quand l'autre, civilisée, manquait pour le pot. Vieil homme et son tapis sur l'herbe. Gardien de la prière, maigre et sec étiré jusqu'à l'ancienne vallée qui l'attend.
 
Au sud de Marrakech (Vallée de l'Ourika, Maroc)
 
 
FEMME A LA PEAU D'ORANGE
 
 
Un ciel sans bavure et sans faux-semblant.
Deux filles au regard ourlé de khôl s'affrontent en embarquant. Leur bateau comme une maison, avec ses goélands témoins du départ, prend la direction d'Algerisas, en Espagne.
 
Sur le port qui s'éloigne, accroupie contre une façade, les jambes découvertes et les yeux noyés, une femme pleure la source tarie de sa vie. Tout autour, des peaux d'oranges, détritus de son repas de midi.
 
Les filles en voyage se souviendront d'elle, surtout, après l'horizon et les années.
 
Détroit de Gibraltar
(Ville autonome de Ceuta, Espagne,
sur le continent africain)
 
Mireille Disdero, Ecrits sans papiers. Pour la route entre Marrakech et Marseille. Editions La boucherie littéraire, collection Sur le billot 2015, 2016.
 
Photo : ©Harry Gruyaert (Agence Magnum), Shaded streets of the medina, Marrakech, Morocco 1977
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Je trahirai demain

Publié le par Fred Pougeard

Je trahirai demain pas aujourd'hui.
Aujourd'hui, arrachez moi les ongles,
Je ne trahirai pas.
 
Vous ne savez pas le bout de mon courage.
Moi je sais.
Vous êtes cinq mains dures avec des bagues.
Vous avez aux pieds des chaussures
Avec des clous.
 
Je trahirai demain, pas aujourd'hui,
Demain.
 
Il me faut la nuit pour me résoudre,
Il ne me faut pas moins d'une nuit,
Pour renier, pour abjurer, pour trahir.
Pour renier mes amis,
Pour abjurer le pain et le vin,
Pour trahir la vie.
Pour mourir.
 
Je trahirai demain, pas aujourd'hui.
La lime est sous le carreau,
La lime n'est pas pour le barreau,
La lime n'est pas pour le bourreau,
La lime est pour mon poignet.
 
Aujourd'hui je n'ai rien à dire
Je trahirai demain.
 
(1943 ?)
 
Marianne Cohn, citée dans  Dominique Missika, Résistantes 1940-1944, Editions Gallimard, Ministère des Armées 2021
 
Marianne Cohn, d'origine juive allemande, fuit l'Allemagne hitlérienne pour l'Espagne et la France. Dès 1941, Marianne Cohn devient agent de liaison pour le Mouvement de la Jeunesse Sioniste. Elles s'occupe prioritairement du franchissement de la frontière suisse pour des enfants juifs parlant mal ou pas le français, ceux qu'il était difficile de faire passer pour de petits chrétiens. Elle est arrêtée en janvier 1944 par les allemands en compagnie de 28 enfants. Torturée, Marianne Cohn ne parle pas. Elle est assassinée par la police allemande en juillet 1944, à coups de pelle et de bottes avec cinq autres prisonniers. Les enfants seront, eux sauvés, grâce à l'action résolue du maire d'Annemasse, Jean Deffaugt (qui reçoit le titre de Juste parmi les Nations en 1965)
 
 
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