Quand j'ai fini de labourer le champ, je m'arrête un peu —ainsi faisait mon grand-père— et je m'assieds un moment sur la motte retournée.
Bonne terre douce à toucher, fraîche comme le bord de l'eau, combien de fois ai-je mesuré mon corps de chair à ton grand corps, plus tendre que le pain, plus dur que la terre gelée ?
Voici venu le soir ; la large mer du ciel, avec ses grains d'étoiles commence à s'en aller vers le jour qui vient,
commence à marcher comme un champ de seigle vert, la fleur dans l'épi, quand le vent de midi souffle dans le soleil.
Tu en as porté des seigles, bonne terre légère, fraîche comme une fontaine ; tu en as donné des moissons de joie et de travail dans le chaud de l'été.
Tu en as mûri, en vérité, de la vie, qui monte par la sève son eau salée depuis les profondes racines et s'en va dans le sang de notre âme éternelle.
Viendra le soir de tous les soirs. Et le ciel s'en ira, avec ses grains d'étoiles, tel un champ de seigle vert aux semences nouvelles.
Puissé-je, alors, puissé-je me coucher au fond du sillon, dans la terre retournée, fraîche comme un arbre vivant dans sa sève salée.
Alors, terre douce à toucher, terre de bonne odeur, je te rendrai ce peu de sang que tu m'as donné, ma vie pauvre, et la parole qui me tenait le corps et l'âme ensemble.
Alors, terre ma mère, mûris mes moissons, fais germer ma parole ! Et ma vie pauvre de ce temps, fais-en le champ qui va d'un bord du ciel à l'autre.
En espérance ainsi, je console mon cœur, même si je n'y crois guère...
*
Quand ai'chabat de laborar lo champ, m'aplante un pauc —aitau fasia mon grand— e m'assete un moment sus la gleva virada.
Bonne terra mofla; frescha coma la broa de l'aiga, quantben de còps ai mesurât mon còrs de charn a ton grand còrs, pus tendre que lo pan, pus dur que la peira gialada ?
Veiqui vengut lo ser ; la larja mar dau ciau, emb sos gruns d'estialas comença de se'n nar d'aiciant' au jorn que ven,
comença de marchar, tala un champ de blat verd, la flor dins l'espija, quand lo vent de miegjorn bufa dins lo solelh.
Ne'n as portat dags blats, bona terra leugiera, frescha coma 'na font, ne'n as menat, de las meissons de jòia e de trabalh, dins la chalor d'estiu.
Tu ne'n as madurat, segur de la vita, que monta per la saba son aiga salada, dempuei las raiç priondas e se'n vai dins lo sang de nòstra arma eternala.
Vendra lo ser de tots los sers. E lo ciau se'n nira, emb sos gruns d'estialas tal un champ de blat verd per lo semen noveu.
Poguesse-ieu, laidonc, poguesse-ieu m'estendre au fons de la reja, dins la terra virada, coma l'aubre viu frescha en sa saba salada.
Laidonc, terra mofla, terra de bona odor, te tornarai queu pauc de sang que m'as balhat, ma vita paura, e la paraula que me tenia lo còrs et l'arma tot ensemble.
Laidonc, terra ma mair, madura mas meissons, erminia ma paraula ! E ma paubra vita d'aqueu temps, fai-ne'n lo chip que vai d'un biais dau ciau a l'autre !
Aitau me conòrte lo còr, zo creiguesse-ieu gaire...
Marcela Delpastre, La lenga que tant me platz, la langue qui tant me plaît, (août 1963), publié par la revue Lemozi en avril 1964, repris dans D'una Lenga l'autra (D'une langue l'autre). Edicions dau chamin de sent Jaume 2001
Petite série, pour le 25e anniversaire de la disparition de Marcelle Delpastre.
Pour commander les livres de Marcelle Delpastre, votre libraire doit appeler ici M. Jan Dauu Melhau :
Edicions dau Chamin de Sent-Jaume Roier / Royer 87380 Meusac / Meuzac Tél. 05 55 09 96 61
La journée d'aujourd'hui est amère —comme le chanvre et comme le chemin.
Comme les cailloux ronds qui roulent sous les eaux, qui ne vont nulle part, qui sont là quand l'eau passe.
Et la journée d'hier fut vaine — comme le chanvre et comme le chemin.
Gloire des blonds épis ! qui mûrissent pour être cueillis, et que l'on vanne, et que l'on sème.
N'avons-nous pas rêvé d'une rose éternelle ?
Si la flamme demeure encore un peu de temps, cependant l'heure vient qu'elle doit être éteinte,
et si la vie perdure un peu de temps. —Mais gloire de la rose, dont le charme est d'avoir été,
si peu que son parfum perdure. Et gloire de cette journée, pâle et froide, comme le chanvre et le chemin.
Gloire d'hier, la journée morte ! Des cailloux ronds, qui roulent sous les eaux, qui sont là quand l'eau passe.
Et gloire de la vie, et gloire de la mort !
15 février 1967
Marcelle Delpastre, La chasseur d'ombres et autres psaumes (1960-1969), éditions dau chamin de sent jaume 2002
Aujourd'hui, cela fait vingt-cinq ans que Marcelle Delpastre vogue "dans le désert de Dieu". En tapant son nom sur le moteur de recherche de ce blog, vous trouverez de nombreux poèmes d'elle.
Karine Tuil, Kaddish pour un amour Editions Gallimard 2023
* Pardès qui signifie littéralement "jardin" "verger" en hébreu, s'apparente au mot "paradis".
Il est l'acrostiche des 4 techniques interprétatives de la Bible : Pschat (sens littéral), Remez (sens allégorique), Drash (sens recherché) et Sod (sens secret)