Trois Sonnets de la prison de Moabit

Publié le par Fred Pougeard

I
DANS LES FERS
 
 
Pour qui va y dormir cette nuit,
La cellule a des murs doués d'une vie aussi riche
Qu'elle-même semblait nue. Faute et destin garnissent
Sa voûte des voiles gris qu'ils tissent.
 
Toute la souffrance qui remplit cet édifice
Donne vie, sous les murailles et les grilles
À un souffle, un tressaillement secret
Qui dévoile la profonde détresse d'autres âmes.
 
Je ne suis pas le premier, en ce lieu,
Dont les chaînes entaillent les poignets,
Dont l'affliction fait la joie d'une volonté étrangère.
 
Le sommeil devient veille comme la veille devient songe.
En tendant l'oreille, je perçois à travers les murs
​​​​​​​Le tremblement de tant de mains fraternelles.
 
 
 
I
IN FESSELN
 
 
Für den, der nächtlich in ihr schlafen soll,
So kahl die Zelle schien, so reich an Leben
Sind ihre Wände. Schuld und Schicksal weben
Mit grauen Schleiern ihr Gewölbe voll.
 
Von allem Leid, das diesen Bau erfüllt,
Ist unter Mauerwerk und Eisengittern
Ein Hauch lebendig, ein geheimes Zittern,
Das andrer Seelen tiefe Not enthüllt.
 
​​​​​​​Ich bin der erste nicht in diesem Raum,
In dessen Handgelenk die Fessel schneidet,
An dessen Gram sich fremder Wille weidet.
 
Der Schlaf wird Wachen wie das Wachen Traum.
Indem ich lausche, spür ich durch die Wände
Das Beben vieler brüderlich Hände.
 
 
 
LI
TRANSFORMATION
 
 
De tout ce qui nous a liés dans nos jeunes années,
En toute action humaine, en fait d'espoir et de valeur,
Combien peu a résisté aux puissances mortelles
Lors de l'ultime épreuve qu'a dû subir notre âme !
 
Tant de choses que nous avions à peine remarquées autrefois,
Aujourd'hui proches, ont pris une influence gigantesque :
Nous approchons des régions sacrées
Devant lesquelles nous voici à présent remplis de crainte.
 
Comme de l'or et des pierres précieuses cachés
​​​​​​​Dans le sable, mais qu'une tempête met à nu
Car leur poids seul résiste au vent,
 
Ainsi se dégage à présent des futilités accumulées
L'Impérissable. Notre Moi fait silence
Quand l'Être, en lui, se met à prier à voix basse.
 
LI
WANDLUNG
 
Von dem, was uns in jungen Jahren band,
An Wunsch und Wert in menschlichem Gestalten,
Wie wenig hielt den tötlichen Gewalten
Im letzten Prüfen unsrer Seele stand :
 
Wie vieles, was wir früher kaum gesehn,
Ist heute nah mit ungeheurem Wirken :
Wir nähern uns den heiligen Bezirken,
Vor denen scheu wir nun in Ehrfurcht stehn.
 
Wie Gold und edle Steine sich im Sand
Verborgen halten, bis der Sand verweht,
Und ihr Gewicht allein im Sturm besteht,
 
So hebt sich nun aus allem lauten Tand
Das Unvergängliche. Das Ich wird still,
Wenn Es in ihm schon leise beten will.
 
 
LXXIV
KAMI
 
J'aurais dû m'incliner devant bien des tombes,
Selon la profonde coutume de l'Extrême-Orient,
Pour remercier encore, avant que mon propre souffle
Ne soit lui-même emporté — il me faut à présent le faire
 
Du fond du silence de ma cellule. Depuis longtemps j'ai appris
À détacher mon âme de tout ce qui l'environne.
À la diriger quand elle s'éloigne de sa quête —
Les morts l'aident à trouver son chemin.
 
Les morts connaissent les signes particuliers :
Ils restent muets pour les âmes qui désirent,
Muets pour celles qui n'ont pas encore appris la vénération —
 
Mais les morts se laissent volontiers rejoindre
Quand libéré de l'enchevêtrement de tous les désirs,
On vient seulement les remercier d'avoir vécu.
 
 
LXXIV
KAMI
 
Vor vielen Gräbern hätt ich mich zu neigen,
Um nach des Fernen Ostens tiefem Brauch
Noch Dank zu sagen, eh der eigne Hauch
Hinüberweht. Nun muss ichs aus dem Schweigen
 
Der Zelle tun. Die Seele loszubinden
Von aller Umwelt hab ich längst gelernt.
Sie lenken, wenn sie suchend sich entfernt—
Die Toten helfen ihr, die Bahn zu finden.
 
Die Toten wissen die besondren Zeichen.
Sie bleiben stumm für Seelen, die begehren,
Und stumm für Seelen, die noch nicht verehren —
 
Doch lassen sich die Toten gern erreichen,
Wenn man befreit von aller Wünsche Weben
Nur kommt, um ihrem Leben Dank zu geben.
 
 
Albrecht Haushofer, Moabitter Sonette 1944-1945 (Sonnets de la prison de Moabit) Berlin Verlag Lothar Blanvalet 1946 ;  traduit de l'allemand et présenté par Jean-Yves Masson. Editions de la Coopérative, Paris 2019.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
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