Moi seul dans les années

Publié le par Fred Pougeard

J'étais nu et la lumière se souvenait
sur mon corps avec des audaces de mémoire
insensé que je fus de ne tuer ce corps
de croire en ces trop douces chairs et en ces larmes !
Mais quoi ! L'irréfutable cire de l'azur
gardait l'empreinte tiède encore de mes gestes
et les choses ruines partout de mon désir
projetaient leur futures ombres sur mon Ame
Ombre sertie de tombeaux et de soleils.
 
Quelle témérité d'oser même une fleur
même une ombre de fleur sur ces fleurs invisibles
je le savais. Pourtant mon sang avait osé
une rose de sang, la seule ! sur la cendre
cendre d'odeurs et pas venus de loin.
 
                          C'était
moi consumé dans l'or profond et la mémoire
mon sang épanoui d'adieu sur les déserts
gorgeait le vénéneux soleil de poisons tendres
leur suc avait tout envahi d'un lustre roux
et l'invisible même avait des seins d'automne.
 
Alors ô Elégie terrible tu montas
sur un accablement d'ombres inachevées
de bras épars et d'étouffante nudité,
tu montas gladiée comme une herbe, l'éclair
de ta présence approfondit le temps à naître
et fit luire le sang. Je fus nu, arrachant
l'ambiguë nudité qui me voilait ma honte
et respirant une orageuse nudité
 
C'étaient des plaines et des plaies instantanées
pays d'arbres croisant le fer et de nuages
je t'y vis nue harpe en délire qui troublais
le rythme de la mémoire et de la terre
je vis mûrir plus rapides que la pensée
d'ironiques moissons d'ivraie sur les famines
je vis les femmes adossées au souvenir
se défaire sous le fléau comme des gerbes
je vis crouler le tas de froment des armées
je vis dans les terres de sang l'acier germer
et toi criblée d'épis tu rendais fou les astres
ordonnateurs du sang des germes des nuées
 
Ton ombre était la mer et j'étais ton ombre
c'est pourquoi j'étais nu violemment contre dieu
ce dieu clair plus épineux que les ténèbres
en lequel je m'ouvrais un chemin vers l'enfer
​​​​​​​tandis qu'un noir recul de monts ou bien d'années
rejetait le futur en arrière, laissant
une étendue sans lieu à la place du sang
 
Je chantais. Et la lumière avec douceur
abandonnait les ombres et les formes
Je chantais. Et ma chair même se vidait
​​​​​​​du clair-obscur laissé par le sang en mes veines
Je chantais. Et les pleurs anciens se déchiraient
sur un étrange crépuscule de musique
l'Enfer.
 
Pierre Emmanuel, Tombeau d'Orphée Seghers 1967
 
Image Louis Henri Foreau, Orphée criant sa douleur, Musée de Valence
 
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