Mers noires

Publié le par Fred Pougeard

I

Nous voici les darses d'un port abandonné où l'on ne charge plus ni vivres ni épices
 
Où ne carène aucun hornier, où aucune vergue ne repose les mouettes
 
Auprès d'une mer inutile,
 
Poétesse de personne. 
 
 
III
 
Le jour pèse aux navires à quai, car ils aimaient partir bien avant l'aube pêcher des éclairs dans les courants.
 
On fréquente des carènes et des écoutes, on croit fort au parcours sans raideur des flots et des insolentes rayures méridiennes. 
 
Elargir, agrandir des recoins de bras et des commissures de lèvres balbutiant des couleurs, des âges de minutes sans lendemains, de langues mortes et de stèles détruites. 
 
Sur le brisant, au centre de l'activité marine. 
 
Les marins n'ont d'autres cartes que leur reflet dans l'eau.
 
Le vent de la fureur du vent. Accoster n'est qu'une solution provisoire où on se trouve seul avec le prix, la coupe qu'on remettra au vainqueur pour la largeur de ses voiles.
 
Son grand âge et son élégance entre les rochers, là où parviennent peu d'avirons.
 
Sa stupeur d'embruns.
 
Pour rejoindre les trésors de jadis ; les vignes de légende, les monstres de proue font fuir les sauvages.
 
Combler l'océan, fendre l'écume pour la vaincre et enfin reposer sur la grève. 
 
Un soupir pour un livre sans pages, une vague sans mesure.
 
Un quatrain sans hauteur où peu d'oiseaux survivent.
 
 
 
VIII
 
De tous les mensonges une nouvelle surface, un livre de pluie quand revient l'hiver sans qu'on s'en aperçoive
 
On pensait que la guerre était un insecte d'été, une mouche dans un oeil vide
 
Mais elle sait revenir sous la pluie et percer les nuages d'éclairs rouges
 
Crever les montagnes écorcer des arbres sans feuille
 
Violer l'impeccabilité de la neige sur les sommets
 
Silence et respect, camarades, pour la morte saison morte
 
Silence vitrifié
 
Respect d'hiver.
 
Mathias Enard, Dernière communication à la société proustienne de Barcelone, Editions Inculte/dernière marge 2016
 
 
 
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