Samedi et son potentiel festonné
"Tout vers devrait avoir deux devoirs : communiquer un fait précis et nous atteindre physiquement comme la proximité de la mer." Jorge Luis Borges
Mon Dieu, je brûle de l'espoir
que les choses qui n'existent pas
adviennent
de voir le bout de la steppe dédaigneuse
où je risque mes pas en aveugle,
et de brûler :
je dormirai, comme un oiseau la joie viendra
m'ouvrir le cœur, comment - je ne sais pas,
et rageusement
tuera le serpent dedans, le monstre, le suspendra
en sang, à la branche, au plus profond humide des bois
du désespoir,
Et, sentinelle aux portes de mon âme,
adoucira de larmes les pervenches de l'attente
en chantant.
Bohuslav Reynek, Le Serpent sur la neige (1924) traduction de Xavier Galmiche avec une préface de Sylvie Germain et 27 linogravures de l'auteur. Editions Romarin, Les amis de Suzanne Renaud et Bohuslav Reynek 1997
(...) Dans un poème, c'est quand tu commences à te mentir à toi-même dans la seule idée de faire un poème que tu échoues. C'est pourquoi je retravaille pas mes poèmes et les laisse à l'état de premier jet, parce que si j'ai menti au départ je retomberai jamais sur mes pattes, et si j'ai pas menti, eh ben, il n'y a aucun souci à se faire. Juste en les lisant, je peux sentir comment certains poèmes ont été assemblés, rabotés, rivetés et policés. En ce moment, tu trouves un paquet de poésie de ce genre dans la revue Poetry de Chicago. Quand tu tournes les pages, rien que des papillons, des papillons vidés au trois quarts de leur sang. Je suis réellement choqué quand je parcours cette revue parce qu'il ne s'y passe rien. Et j'imagine que c'est ça leur conception d'un poème. Mettons, rien ne se passe. Entre les lignes un léger bruissement, si subtil que tu ne peux même pas le sentir. Et voilà la chose taxée d'art intelligent. Mes couilles ! On peut dire d'un art qu'il est intelligent lorsqu'il te secoue les tripes, sinon, c'est du vent, et comment ça peut être du vent et figurer dans Poetry Chi ? Dis moi.
En 1956, quand j'ai commencé à écrire de la poésie à l'âge ancestral de 35 ans après avoir dégueulé mon estomac par la bouche et par le fion, j'ai eu assez de jugeote pour ne plus boire une goutte de whisky même si une femme prétend m'avoir vu tituber près de chez elle vendredi soir avec une bouteille de Port Wine à la main- en 1956 j'ai envoyé à Experiment une poignée de poèmes qu'ils ont acceptés, et maintenant 5 ans plus tard ils m'annoncent qu'ils vont publier l'un d'entre eux, si c'est pas un modèle de réactivité ça, je m'y connais pas. Ils me disent que ça sortira en juin 1961 et j'imagine qu'en le lisant ça me fera l'effet d'une épitaphe. Après ça elle m'a suggéré de lui envoyer dix dollars et d'adhérer à l'Experiment Group. Naturellement j'ai décliné. Seigneur, si j'avais pu miser dix dollars de plus sur Togetherness au champ de courses j'aurais siffloté Dixie par l'anus.
(...)
Charles Bukowski, Lettre à Jon Webb, dans On Writing, Sur l'écriture, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Romain Monnery. Linda Lee Bukowski 2015, Editions au Diable Vauvert 2017.
Tomas Tranströmer Fôr Levande och döda (Pour les vivants et les morts) 1989 Traduit du suédois par Jacques Outin. Editions Le Castor Astral 1996
Photographie de Tomas Tranströmer par Lois Shelton, 11/06/1975, devant le Poetry Center de l'Université de l'Arizona.
Il est vrai qu’il n’y a pas assez de beauté dans le monde.
Il est vrai aussi qu’il n’est pas de ma compétence de lui en redonner.
(…)
Je suis
au travail, bien que silencieuse.
La fade
misère du monde
nous serre de chaque côté, comme une allée
bordée d’arbres ; nous sommes
ensemble ici, sans parler,
chacun dans ses pensées ;
derrière les arbres le fer forgé
des portails de maisons privées,
pièces aux volets fermés,
l’air désert, abandonné,
comme si l’artiste avait
le devoir de créer
de l’espoir, mais avec quoi ? avec quoi ?
le mot lui-même,
faux, un artifice pour réfuter
la perception – À l’intersection,
les lumières ornementales de la saison.
Nous vivons ici-bas une main serrée sur la gorge. Que rien ne soit possible était chose connue de ceux qui inventaient des pluies et tissaient des mots avec la torture de l'absence. C'est pourquoi il y avait dans leurs prières un son de mains éprises du brouillard.
Alejandra Pizarnik, L'Arbre de Diane, dans Oeuvre poétique, traduction de l'espagnol (Argentine) par Claude Couffon. Editions Actes Sud 2005
Sur la photo : Julio Cortázar et sa compagne Carol Dunlop