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Samedi et son potentiel festonné

Publié le par Fred Pougeard

Les visages au contraire de la météo
ne reviennent jamais
peu importe à quel point
ils ressemblent à la pluie
 
Dans ce théâtre, le temps
n'est pas cruel, juste différent
 
Ça vous aide ?
 
Quand le trop large couloir aérien
se calme
les humains s'apaisent
 
Quand la notion de mythe
ou n'importe quoi de collectif
est défaite par les carillons éoliens
par un doux tintinnabule
 
Quand l'espoir est ouvert
par un doux tintinnabule
ou une lumière tachetée
criant de joie à la périphérie
 
Quand la lumière crie de joie
et tachetée fait si plaisir
à un corps au repos
 
Quand la pensée, ouverte
s'attache pour reposer
sur le front
 
Quand des brindilles se balançant
juste derrière
la grande vitre de la bibliothèque
font signe, griffent et s'unissent
à une idée de l'histoire
 
Quand des brindilles griffues
s'unissent à une idée du temps
à une image de l'être
 
Par exemple être à côté et se muer
être un autre soi-même
 
être soi-même se muant en poème
 
Peter Gizzi, L'Externationale, traduit de l'américain par Stéphane Bouquet, editions José Corti, Serie américaine 2013
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Prière

Publié le par Fred Pougeard

Donne-moi une fontaine proche de la forêt
Peu profonde de quoi remplir le creux de la main
Et une grenouille qui gardera l'eau pure
 
Je viendrai à l'automne repêcher les feuilles mortes
Je viendrai en hiver et briserai la glace
Et en août j'inviterai à boire les passants assoiffés
 
C'est tout Et c'est sans doute en ton pouvoir
De créer pour moi ce point d'eau minuscule
Où le ciel viendra parfois se refléter
 
Jan Skacel, Quelque chose d'autre, extrait publié dans Poésie n°1 n°46 La Nouvelle poésie tchèque, Juillet-août 1976. Choix et traductions de Milan Kepel.
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Mon Dieu, je brûle de l'espoir

Publié le par Fred Pougeard

Mon Dieu, je brûle de l'espoir

que les choses qui n'existent pas

adviennent

de voir le bout de la steppe dédaigneuse

où je risque mes pas en aveugle,

et de brûler :

 

je dormirai, comme un oiseau la joie viendra

m'ouvrir le cœur, comment - je ne sais pas,

et rageusement

 

tuera le serpent dedans, le monstre, le suspendra

en sang, à la branche, au plus profond humide des bois

du désespoir,

 

Et, sentinelle aux portes de mon âme,

adoucira de larmes les pervenches de l'attente

en chantant.

 

Bohuslav Reynek, Le Serpent sur la neige (1924) traduction de Xavier Galmiche avec une préface de Sylvie Germain et 27 linogravures de l'auteur. Editions Romarin, Les amis de Suzanne Renaud et Bohuslav Reynek 1997

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A John Webb, fin janvier 1961

Publié le par Fred Pougeard

(...) Dans un poème, c'est quand tu commences à te mentir à toi-même dans la seule idée de faire un poème que tu échoues. C'est pourquoi je retravaille pas mes poèmes et les laisse à l'état de premier jet, parce que si j'ai menti au départ je retomberai jamais sur mes pattes, et si j'ai pas menti, eh ben, il n'y a aucun souci à se faire. Juste en les lisant, je peux sentir comment certains poèmes ont été assemblés, rabotés, rivetés et policés. En ce moment, tu trouves un paquet de poésie de ce genre dans la revue Poetry de Chicago. Quand tu tournes les pages, rien que des papillons, des papillons vidés au trois quarts de leur sang. Je suis réellement choqué quand je parcours cette revue parce qu'il ne s'y passe rien. Et j'imagine que c'est ça leur conception d'un poème. Mettons, rien ne se passe. Entre les lignes un léger bruissement, si subtil que tu ne peux même pas le sentir. Et voilà la chose taxée d'art intelligent. Mes couilles ! On peut dire d'un art qu'il est intelligent  lorsqu'il te secoue les tripes, sinon, c'est du vent, et comment ça peut être du vent et figurer dans Poetry Chi ? Dis moi.

En 1956, quand j'ai commencé à écrire de la poésie à l'âge ancestral de 35 ans après avoir dégueulé mon estomac par la bouche et par le fion, j'ai eu assez de jugeote pour ne plus boire une goutte de whisky même si une femme prétend m'avoir vu tituber près de chez elle vendredi soir avec une bouteille de Port Wine à la main- en 1956 j'ai envoyé à Experiment une poignée de poèmes qu'ils ont acceptés, et maintenant 5 ans plus tard ils m'annoncent qu'ils vont publier l'un d'entre eux, si c'est pas un modèle de réactivité ça, je m'y connais pas. Ils me disent que ça sortira en juin 1961 et j'imagine qu'en le lisant ça me fera l'effet d'une épitaphe. Après ça elle m'a suggéré de lui envoyer dix dollars et d'adhérer à l'Experiment Group. Naturellement j'ai décliné. Seigneur, si j'avais pu miser dix dollars de plus sur Togetherness au champ de courses j'aurais siffloté Dixie par l'anus.

(...)

Charles Bukowski, Lettre à Jon Webb, dans On Writing, Sur l'écriture, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Romain Monnery. Linda Lee Bukowski 2015, Editions au Diable Vauvert 2017.

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Voûtes romanes

Publié le par Fred Pougeard

Au milieu de l’immense église romane, les touristes se pressaient dans la pénombre.
Une voûte s’ouvrait sur une voûte, et aucune vue d’ensemble.
La flamme de quelques cierges tremblotait ça et là.
Un ange sans visage m’enlaça
et me murmura par tout le corps :
« N’aie pas honte d’être homme, sois-en fier !
car en toi, une voûte s’ouvre sur une voûte, jusqu’à l’infini.
Jamais tu ne seras parfait  et c’est très bien ainsi. »
Aveuglé par les larmes,
Je fus poussé sur la piazza qui bouillait de lumière
En même temps que Mr et Mrs Jones, monsieur Tanaka et la Signora sabatini
et en eux une voûte s’ouvrait sur une voûte, jusqu’à l’infini »
 

Tomas Tranströmer Fôr Levande och döda (Pour les vivants et les morts) 1989 Traduit du suédois par Jacques Outin. Editions Le Castor Astral 1996

 

Photographie de Tomas Tranströmer par Lois Shelton, 11/06/1975, devant le Poetry Center de l'Université de l'Arizona.

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L'éternel soleil

Publié le par Fred Pougeard

Ils sont couchés là-bas. Ils épousent la courbe du sol. Ils s'étendent profondément. Ils dorment.
A ras de terre épandues ses ramures, quel arbre, quelle plante ? Et quel coeur qui respire au rythme de ces corps ?
Au moment du réveil chaque aube semblait vierge et l'éternel soleil flamboie son premier jour.
Nous les avons aimés si merveilleusement ! Peut être un jour lèveront-ils comme la pâte où germe l'antique levain.
Peut-être prendront-ils la forme du destin. Nous les avons aimés si minutieusement...
Attendaient-ils quel signe ? Ou l'appel de leur nom pour se délier du sol, pour séparer la terre de la chair ?
Au moment du réveil, chaque aube semblait vierge et l'éternel soleil flamboie son premier jour.
Nous les avons aimés d'une longue patience, à chacun préférant son visage et sa joie, à chacun sa naissance. 
Ils sont couchés là-bas. Ils dorment. Un mouvement parfois semble courir sur les moissons, une ombre sur la mer.
 
                                                                                                4 septembre 1970
 
Marcela Delpastre, L'Araignée et la rose et autres psaumes (1969-1986) Edicions Dau Chamin de Sent Jaume, 2002
 
Photo : Charles Camberoque
 
 
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Un chant pour mon père/A song for my father

Publié le par Fred Pougeard

Mon père parle par énigmes
"Ta vie a été bénie", dit-il,
la voix un peu triste
dans le pâle encens crépusculaire.
"À ton âge, j'étais mort."
Pas si impénétrable que
cela. Mais ceci sur des lèvres
durcies par des années de poussière :
"Il n'y a pas d'ondes sonores
de ce côté de la vérité. En outre,
je n'ai plus envie d'entendre
ta musique audacieuse"-
cela jette un froid sur mon âme qui s'assèche.
Pourquoi un chant devrait-il
déranger ce qu'on ne peut changer ,
ou ceci, lassé dorénavant
de toute cette distance, en bou-
gonnant : "N'arpente pas tes nuits.
Les étoiles que tu cites consument
des trouées de notre firmament.
Prends garde aux coulées d'obscurité."
 
*
My father speaks in riddles.
"Your life's been blessed" he says,
his voice somewhat sad
through the dusk-pale incense.
"at your age I was dead."
Not so impenetrable
perhaps. But this, on lips
parched by years of dust :
"There are no waves for sound
this side of truth. Besides,
I no longer wish to hear
your reckless music"-
this wilts my soul with frost.
Why should any song
disturb what must be immutable ?
or this, weary now
with all the distance, que-
rulous : "Don't pace the night.
The stars you name burn holes
in our firmament.
Watch out for leaks of darkness."
 
Dimitris Tsaloumas, Un chant du soir, traduit de l'anglais (Australie) par Pascal Laurent. Editions Orphée La Différence 2014
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I was young here.

Publié le par Fred Pougeard

 

Il est vrai qu’il n’y a pas assez de beauté dans le monde.
Il est vrai aussi qu’il n’est pas de ma compétence de lui en redonner.
(…)

Je suis
au travail, bien que silencieuse.

La fade

misère du monde
nous serre de chaque côté, comme une allée

bordée d’arbres ; nous sommes

ensemble ici, sans parler,
chacun dans ses pensées ;

derrière les arbres le fer forgé
des portails de maisons privées,
pièces aux volets fermés,

l’air désert, abandonné,

comme si l’artiste avait
le devoir de créer
de l’espoir, mais avec quoi ? avec quoi ?

le mot lui-même,
faux, un artifice pour réfuter
la perception – À l’intersection,

les lumières ornementales de la saison.

J'étais jeune alors. Voyageant
en métro avec mon petit livre
comme pour me défendre
 
contre ce même monde :
 
tu n'es pas seule,
disait le poème
dans le sombre tunnel.
 
*
 
It is true there is not enough beauty in the world.
It is also true that I am not competent to restore it.
(...)
Neither is there candor, and here I may be of some use.
I am
at work, though I am silent.
The bland
misery of the world
bounds us on either side, an alley
lined with trees; we are
companions here, not speaking,
each with his own thoughts;
behind the trees, iron
gates of the private houses,
the shuttered rooms
somehow deserted, abandoned,
as though it were the artist’s
duty to create
hope, but out of what? what?
the word itself
false, a device to refute
perception-At the intersection,
ornamental lights of the season.
I was young here. Riding
the subway with my small book
as though to defend myself against
 
this same world:
 
you are not alone,
the poem said,
in the dark tunnel.
 
Louise Glück, extrait d'October (2004) traduit de l'américain par Claire Vajou, cité dans Résistance à la poésie de James Longenbach, éditions de Courlevour 2013 
 
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Nous vivons...

Publié le par Fred Pougeard

Nous vivons ici-bas une main serrée sur la gorge. Que rien ne soit possible était chose connue de ceux qui inventaient des pluies et tissaient des mots avec la torture de l'absence. C'est pourquoi il y avait dans leurs prières un son de mains éprises du brouillard. 

Alejandra Pizarnik, L'Arbre de Diane, dans Oeuvre poétique, traduction de l'espagnol (Argentine) par Claude Couffon. Editions Actes Sud 2005

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Abattage

Publié le par Fred Pougeard

     
                                                     Cherchez, cherchez, oiseaux             
                                                                                    Jules Supervielle
 
L'arbre se changea en main qui chasse des nuages
inutilement tendue vers la lumière au loin ;
sur ses doigts se promenaient de minutieux lézards
qui guettaient entre les feuilles un souvenir obscur.
 
Des haches l'abattirent, on lui ouvrit la poitrine
à l'aide de crochets, rengaines et paumes baveuses ;
le faîte reposait son oreille sur le sol
enrobé dans sa pluie de grenouilles violacées.
 
Tombèrent le pin, l'ombú, le mauve eucalyptus,
le peuplier de lait et le saule de douleur.
On les passait la nuit par la scie ou la hache
pour tromper les oiseaux et recenser le bois.
 
(Les papillons inlassables dans les creux de l'air
de tous côtés cherchaient l'emplacement des feuilles ;
le criquet égaré déambula longtemps
et les oiseaux nichèrent dans l'image disparue.)
 
Julio Cortázar, Salvo el crepúsculo (1984) Crépuscule d'Automne. Traduit de l'espagnol (Argentine) par Silvia Baron Supervielle, Editions José Corti, collection ibérique 2010
 

Sur la photo : Julio Cortázar et sa compagne Carol Dunlop

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